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1806, 1816, 1829 et 1846 |
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Phalanstère et Harmonie universelle |
Prologue sur les indices divins en étude passionnelle et richesses matérielles de la nature [1] Le bon sens nous dit qu'il y a un Dieu Un orateur moderne a fort bien dit que le simple bon sens est d'ordinaire un guide plus sûr que les subtilités de la science. Le bon sens nous dit qu'il y a un Dieu, les savants après vingt-cinq siècles de subtilités prétendent, les uns qu'il n'y a point de Dieu, les autres qu'il n'y a qu'un Dieu apathique, insuffisant, indifférent sur notre sort. Je m'en tiens à l'impulsion du bon sens qui dit que Dieu a pourvu à nos besoins et (qu'il a dû) nous ménager les moyens de découvrir ce qui nous est nécessaire. Les retards ne sont pas un motif de désespoir. La boussole nautique (aiguille aimantée) dont le besoin était si urgent est restée inconnue cinq mille ans. Sa découverte bien tardive prouve que Dieu n'est pas en défaut de providence. C'est notre esprit qui est en retard, en fausse marche dans ses méthodes d'exploration. Le bon sens nous dit encore que, si Dieu nous aménagé des voies de salut et d'acheminement au bonheur social, il a dû y ajouter des indices pour guider dans les recherches, surtout dans la plus importante qui est celle du code passionnel. Jusqu'à présent c'est vraiment la région des ténèbres que l'étude des Passions et de leurs destinées, l'esprit humain après vingt-cinq siècles d'échec sur ce problème doit être épouvanté de retourner au combat. |
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La recherche d'un fanal : l'amour Égarés dans l'abîme de ténèbres, dans les systèmes politiques et moraux, commençons par chercher un fanal plus sûr que cette prétendue raison qui nous a perdus ; rallions-nous à Dieu, cherchons sa trace dans le dédale. Où trouver parmi nos passions quelque souffle de l'esprit divin ? Est-ce dans les fureurs de l'ambition, dans les perfidies administratives et commerciales, dans la vénalité des amitiés, dans les discordes des familles ? Non, la cupidité, le mensonge, l'envie, attestent l'absence de l'esprit divin, mais il est une passion qui conserve sa noblesse primitive et qui entretient chez les mortels le feu sacré, les caractères de la Divinité. Cette passion est l'amour, flamme toute divine, véritable esprit de Dieu qui est tout amour. N'est-ce pas dans l'ivresse de l'amour que l'homme s'élève aux cieux et s'identifie avec Dieu ? Est-il d'amant ou d'amante qui ne divinise l'objet aimé et qui ne croie partager avec lui le bonheur de Dieu ; l'amour est l'agent le plus puissant des rapprochements passionnels, même entre caractères antipathiques. C'est par lui que l'orgueilleuse Diane s'humanise avec le berger Endymion ; les autres passions n'ont presque rien de cette influence dévolue à l'amour pour le rapprochement des conditions. |
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Les voies de l'amour et de la religion J'ai rempli la tâche préliminaire, la détermination d'un indice pour nous guider dans le dédale des passions. J'ai signalé un fanal de ralliement avec l'essence divine. Rigoristes qui proscrivez l'amour, philosophes qui ridiculisez l'esprit religieux, ne lisez pas ce traité de l'attraction ou code divin ; vous n'y trouveriez que l'art de conduire tous les hommes au bonheur par les voies de l'amour et de la religion, mais si vous inclinez à connaître ce bonheur si différent de celui de la civilisation, ce bonheur qui, je le répète, s'étendra à la vieillesse comme à la jeunesse, souvenez-vous que toute rose a des épines, que je ne peux pas, même en théorie de volupté et d'amour, exposer une science absolument neuve comme l'attraction sans vous entraîner dans des calculs parfois hérissés de difficultés. Ce n'est pas un petit mécanisme que celui de l'harmonie de huit cents millions d'hommes [2] et si l'on a donné trente siècles d'études à la science qui fait gémir le genre humain dans l'indigence, la fourberie, l'oppression et le massacre, ne doit-on pas au moins trente jours d'étude à la nouvelle science qui élèvera ces 800 millions d'hommes à l'opulence, la vérité, la liberté et l'harmonie [3] universelle ? |
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L'amour nous identifie à la divinité À quelles passions les cultes devront-ils se rallier ? Question embarrassante pour nos politiques. Ce n'est pas sur eux que je compte, c'est le coeur des Belles qui va nous servir d'oracle pour le culte composé qui est celui de la classe pubère. Si l'on donnait aux femmes à décider quelle est la passion la plus digne de faire le bonheur de Dieu et de l'humanité, quelle passion semble nous associer à la félicité de Dieu, toute femme répondrait : c'est l'amour, seule passion qui porte un caractère tout divin et qui nous identifie à la divinité. C'est dans l'ivresse de l'amour que l'homme croit s'élever aux cieux et partager le bonheur de Dieu. L'illusion n'est point aussi noble, aussi religieuse dans les autres passions ; elles n'élèvent pas à si haut degré l'ivresse des sens et de l'âme, elles nous rapprochent moins du bonheur de la Divinité, elles sont moins propres à fournir le germe d'une religion d'Identification avec Dieu bien différente des religions civilisées qui sont cultes d'espérance en Dieu et non pas d'association à son bonheur. Comment l'harmonie excitera-t-elle l'amour de Dieu ? C'est en procurant aux humains le bonheur qu'ils croient être celui de Dieu, le bonheur de l'amour. Ils se passionneront nécessairement pour un culte qui leur assurera à tout âge cette jouissance. Nos religions actuelles n'ont de crédit que sous le rapport des illusions qu'elles nous donnent pour nous étourdir sur la perte de l'amour. Aussi sont-elles plus ––- [4] des femmes qui ont moins de distraction après la saison des amours. En général l'homme civilisé, le père de famille est religieux par spéculation pour contenir des enfants et des valets, mais la femme est religieuse par illusion, pour chercher en Dieu et en l'avenir quelque espoir de renaître au bonheur d'aimer et d'être aimée. Ce que les Religions civilisées promettent pour l'autre vie, le culte de l'harmonie devra le donner dès cette vie. Ce n'est qu'à cette condition qu'il pourra devenir unitaire et ––- Mais l'amour et ses illusions ne peuvent pas être le partage d'un octogénaire qui n'a aucun moyen d'exciter chez la Jeunesse une flamme amoureuse, et puis les enfants, les impubères ne peuvent pas être initiés à l'amour, ni à son culte, il faut pourtant qu'ils aient une Religion. Ces objections et beaucoup d'autres sont prévues et seront dissipées par l'exposé du culte unitaire. Nous n'en sommes ici qu'au germe qu'il s'agit de déterminer : ce germe, je l'ai dit, doit être placé dans la passion la plus riche d'illusions, la plus apte à nous persuader que nous égalons le bonheur de Dieu. Je ne vois pas qu'aucune autre puisse entrer en parallèle avec l'amour. Sans lui, plus de fleurs sur le chemin de la vie. L'humanité après la saison des amours ne fait que végéter, s'étourdir sur le voeu de l'âme, les femmes trop peu distraites sentent amèrement cette vérité et au déclin de l'âge, elles cherchent dans la dévotion quelque appui de ce Dieu qui semble s'être éloigné d'elles avec leur passion chérie. Les hommes parviennent à oublier l'amour mais ils ne le remplacent pas. Les fumées de l'ambition, les douceurs de la paternité n'équivalent plus aux illusions vraiment divines que l'amour procure au bel âge. Tout sexagénaire exalte et regrette les plaisirs qu'il a goûtés dans sa jeunesse et nul jouvenceau ne voudrait échanger ses amours contre les distractions du vieillard. Telle est l'opinion de Dieu sur le rang éminent de l'amour, il pense que l'homme est un être incomplet sans cette belle illusion. Aussi a-t-il pris des précautions sans nombre pour assurer aux vieillards d'un et d'autre sexe les charmes et délassements de l'amour. Dans l'harmonie, dont on va lire la théorie, état où le culte de l'amour deviendra religion unitaire parce qu'il est le plus propre à séduire les deux âges, pourvu qu'il leur garantisse tous les plaisirs attachés à cette passion [5]. Doutera-t-on que toute femme âgée n'embrassât à l'instant ce nouveau culte s'il pouvait s'organiser d'emblée et procurer à chaque femme sexagénaire les illusions et jouissances amoureuses de Cléopâtre ou Ninon ? Le culte amoureux enlèverait donc à son apparition la classe la plus attachée au culte civilisé, celle des femmes avancées en âge. Quant à la jeunesse qui ne voit Dieu que dans l'amour, son adhésion ne serait pas douteuse. Qu'on ne se hâte pas de préjuger sur les moyens d'exécution, d'argumenter sur l'impossibilité de rendre aimable et faire adorer un octogénaire. Ces obstacles sont prévus par Dieu, il a pourvu à tout ; les octogénaires d'un et d'autre sexe verront dans l'harmonie une brillante jeunesse idolâtre et complaisante avec eux. N'anticipons pas sur les détails, il ne s'agit que du germe et j'ai prouvé que l'amour est le plus convenable au culte unitaire. Je l'ai nommé passion de ralliement hyper-neutre parce qu'il est la passion éminemment neutre alliant en même degré les jouissances matérielles et spirituelles ; [...] |
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Le sens du goût : foyer religieux quant au matériel [...] Maintenant il reste à déterminer un pivot de culte pour les enfants : c'est le voeu des enfants qu'il faut interroger. Quelle est leur passion dominante ? Est-ce l'amitié, la gloire ? Non, c'est la gourmandise ; elle paraît faible chez les jeunes filles : c'est que la civilisation ne leur fournit pas les mets qui conviennent à leur âge et leur sexe. Observez les penchants de cent petits garçons. Vous les verrez tous enclins à faire un Dieu de leur estomac et combien de pères sur ce point sont émules des enfants. Dès lors, si l'harmonie établit pour les enfants un culte de la gourmandise on peut présumer que les pères s'enrôleront volontiers sous les deux bannières et qu'ils joindront au culte de l'amour celui de la bonne chère qui sera exclusif pour les enfants. Raisonnons sur la convenance de ce culte avec les impulsions générales. Un sentiment naturel chez tous les peuples c'est de considérer Dieu comme un père qui nous nourrit. Tous croient lui exprimer dignement leur gratitude par un banquet en son honneur. La religion chrétienne fait profession de cette opinion quand elle offre à Dieu le pain et le vin que consomment le prêtre et les fidèles et quand elle les assure que Dieu s'introduit dans nos corps sous les espèces du pain et du vin. C'est donc dans le sens du goût que les peuples s'accordent à placer la communication la plus intime de Dieu avec l'homme. Dès lors ce sens devient foyer ou pivot d'esprit religieux quant au matériel. Dans un monde pauvre où l'immense majorité des hommes est dépourvue du nécessaire, toujours famélique, sur quelle base doit-on asseoir le système religieux relativement au sens du goût ? Il n'est d'autre parti que de prêcher la sobriété. Mais dans un monde social qui serait organisé en sens contraire et jouirait constamment d'une surabondance prodigieuse le système religieux serait forcé de suivre une marche opposée et de recommander les raffinements gastronomiques, seul moyen de parvenir à consommer l'extrême affluence de produits dont on jouirait et que l'on continuerait à regarder comme présents du père commun. Ce serait faire outrage à sa générosité que de laisser corrompre une moitié des dons qu'il nous enverrait – leur affluence est telle dans l'harmonie qu'on est forcé d'aviser à des moyens extraordinaires pour en opérer la consommation ; et l'un de ces moyens est l'application du système religieux aux raffinements de bonne chère, et aux provocations d'appétit gradué sans lequel la bonne chère deviendrait funeste. Cette branche de religion est celle des enfants qui ne peuvent pas être initiés au culte amoureux. Tel est le système religieux de l'harmonie, simple pour les enfants qui sont bornés au culte de la bonne chère, composé pour les Pères qui y ajoutent le culte de l'amour. Tous deux ont leurs Ministres spéciaux dans chaque Tourbillon. Ce sont la Pontife et le Pontife pour la vertu ou culte de l'amour, la sibylle et le sibyl pour la sagesse ou culte de la Bonne Chère. Ce n'est pas arbitrairement que je leur donne ces noms de Vertu et sagesse qui semblent des facéties, vu le genre de fonction auxquelles ils sont accolés. L'on verra dans le cours du traité que les résultats sont exactement analogues aux mots et que dans l'harmonie l'essor complet de l'amour devient pivot de vertu et que l'essor complet de la gourmandise devient pivot de la sagesse nécessaire à cet ordre. Expliquons-nous sur les genres de vertu et de sagesse qui conviendront alors. Dans l'état civilisé où, loin de jouir du luxe de la table on voit les 9/10 des pères embarrassés de fournir aux enfants le nécessaire, la sagesse consiste à modérer leurs appétits désordonnés. D'ailleurs il n'existe dans l'ordre actuel aucun moyen de régulariser la gloutonnerie (voracité) des enfants. Aussi malgré tous les avis, se gorgent-ils de mets pernicieux comme les fruits verts. En harmonie où l'enfant le plus pauvre vit à une table servie d'un buffet général qui offre une option sur une trentaine de mets l'enfant évite déjà par cette seule ––- les excès (abus) qui naissent d'une crainte de privation.
Diverses coutumes que fera connaître le traité façonnent l'enfant à raisonner
ses ––- dès l'âge le plus tendre. Un enfant de 10 ans dans l'Harmonie est un
gastronome consommé, capable de donner des leçons aux oracles gastronomiques
de Paris. Le régime alimentaire dans ce nouvel ordre est dirigé de
manière à obtenir des enfants les deux résultats suivants : Si l'on atteint ces deux buts en inspirant aux enfants la passion de la gourmandise assurément elle deviendra sagesse dès qu'elle aura opéré ce double prodige et l'on ne pourra mieux faire que de l'ériger en pivot de culte religieux propre à rallier les enfants à l'amour de Dieu en reconnaissance des soins qu'il a pris pour satisfaire leur jouissance la plus chérie. Il est indubitable qu'un culte fondé sur ces bases sera accepté avec transport de tous les enfants du globe. Le culte en thèse générale doit se rallier aux fonctions les plus utiles au mécanisme social et pour juger quelles seront les plus utiles dans l'harmonie, il suffit d'examiner lesquelles excitent le plus d'attraction. Dieu en distributeur judicieux a dû forcer d'appâts sur les plus utiles. On verra dans le traité que ce sont l'amour et la gourmandise ; il convient de les déifier, (diviniser) pour les rendre plus chères aux hommes et pour fonder le lien d'unité religieuse sur les ressorts d'enthousiasme les plus puissants. Si nous étions destinés à vivre dans les privations où nous réduit l'état civilisé Dieu nous aurait donné comme au chameau et à l'âne des penchants à la sobriété, mais l'état d'harmonie auquel il nous réserve aura la propriété de donner des produits énormes et variés à l'infini (l'on s'en convaincra par le traité qui va suivre). Dans un tel ordre la sagesse devra s'exercer à assurer la consommation de cet immense produit pour lequel il y aura peu de consommateurs, car l'harmonie par effet de la liberté amoureuse peuple beaucoup moins que la civilisation. En général mille harmonisés occuperont même terrain que mille cinq cents civilisés et produisant au-delà du triple, ils seront obligés de consommer quatre à cinq fois plus que nos peuples actuels. On n'atteindra ce but qu'à force de raffinements gastronomiques. On aura des méthodes fixes pour discerner dès le bas âge quel rang tient chaque enfant parmi les 810 tempéraments et quel régime il doit suivre pour s'habituer à manger considérablement à ses cinq repas. Sans cette précaution l'on tomberait presque chaque année dans l'inconvénient de la surabondance et l'on serait obligé de jeter aux égouts une grande quantité de produits qui ne pourraient pas être vendus, parce que chaque tourbillon aura beaucoup de superflu et sera obligé de s'exercer à consommer. Dans cet état de choses les dogmes qui prêchent l'abstinence, les jeûnes, les austérités ne seront plus admissibles, ils deviendraient éversifs de l'économie sociale qui dans toutes ses branches aura pris une marche inverse de l'économie civilisée. La sagesse devra suivre même boussole, s'exercer à assurer la consommation en provoquant par-dessus tous les raffinements gastronomiques à l'aide desquels un enfant digère mieux et consomme davantage et acquiert plus de vigueur, bref la sagesse. [...] |
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L'attraction : de Newton à Fourier [6] Est-ce par dédain, par inadvertance ou par crainte d'insuccès, que les savants ont négligé de s'exercer sur le problème de l'association ? Il n'importe quel a été leur motif, mais ils l'ont négligé ; je suis le premier et le seul qui s'en soit occupé : de là résulte que si la théorie de l'association, inconnue jusqu'à ce jour, pouvait acheminer à d'autres découvertes, si elle est la clé de quelques nouvelles sciences, elles ont dû échoir à moi seul, puisque je suis le seul qui aie cherché et saisi cette théorie. Quant aux nouvelles sciences dont elle ouvre l'accès, je me bornerai à en indiquer deux principales ; et comme ce détail n'intéresse pas le grand nombre des lecteurs, je serai bref autant que possible. La première science que je découvris, fut la théorie de l'attraction passionnée. Lorsque j'eus reconnu que les sectes progressives [7] assurent un plein développement aux passions des deux sexes, des divers âges et des diverses classes ; que dans ce nouvel ordre, on acquerra d'autant plus de vigueur et de fortune qu'on aura plus de passions, je conjecturai de là que si Dieu avait donné tant d'influence à l'attraction passionnée et si peu à la raison son ennemie, c'était pour nous conduire à cet ordre des sectes progressives qui satisfait en tout sens l'attraction : je pensai dès lors que l'attraction, tant décriée par les philosophes, était interprète des vues de Dieu sur l'ordre social, et j'en vins au calcul analytique et synthétique des attractions et répulsions passionnées ; elles conduisent en tout sens à l'association agricole : on aurait donc découvert les lois de l'association sans les chercher, si l'on se fût avisé de faire l'analyse et la synthèse de l'attraction : c'est à quoi personne n'a songé, pas même dans ce XVIIIe siècle, qui voulant fourrer partout les méthodes analytiques, n'a pas essayé de les appliquer à l'attraction. La théorie des attractions et répulsions passionnées, est fixe et applicable en entier aux théorèmes de géométrie : elle sera susceptible de grands développements, et pourra devenir l'aliment des penseurs qui, je crois, sont fort en peine d'exercer leur métaphysique sur quelque sujet lumineux et utile. Je continue sur la filiation des nouvelles sciences. Je reconnus bientôt que les lois de l'attraction passionnée étaient en tout point conformes à celles de l'attraction matérielle, expliquées par Newton et Leibniz ; et qu'il y avait unité du système de mouvement pour le monde matériel et spirituel. Je soupçonnai que cette analogie pouvait s'étendre des lois générales aux lois particulières ; que les attractions et propriétés des animaux, végétaux et minéraux étaient peut-être coordonnées au même plan que celles de l'homme et des astres ; c'est de quoi je fus convaincu après les recherches nécessaires. Ainsi fut découverte une nouvelle science fixe : l'analogie des quatre mouvements matériel, organique, animal et social, ou analogie des modifications de la matière avec la théorie mathématique des passions de l'homme et des animaux. La découverte de ces deux sciences fixes m'en dévoila d'autres dont il serait inutile de donner ici la nomenclature ; elles s'étendent jusqu'à la littérature et aux arts, et établiront des méthodes fixes dans toutes les branches des connaissances humaines. Du moment où je possédai les deux théories de l'attraction et de l'unité des quatre mouvements, je commençai à lire dans le grimoire de la nature ; ses mystères s'expliquaient successivement, et j'avais enlevé le voile réputé impénétrable. J'avançais dans un nouveau monde scientifique, ce fut ainsi que je parvins gradativement jusqu'au calcul des destinées universelles, ou détermination du système fondamental sur lequel furent réglées les lois de tous les mouvements présents, passés et à venir. |
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Sur l'étude de la nature par l'Attraction passionnée [8] Si l'on compare l'immensité de nos désirs avec le peu de moyens que nous avons de les satisfaire, il semble que Dieu ait agi inconsidérément en nous donnant des passions si avides de jouissances ; des passions qui semblent créées pour nous harceler, en excitant mille convoitises dont nous ne pouvons pas satisfaire la dixième partie pendant la durée de l'ordre civilisé. C'est d'après ces considérations, que les moralistes prétendent corriger l'oeuvre de Dieu ; modérer, réprimer les passions qu'ils ne savent pas contenter et qu'ils ne connaissent même pas ; car sur douze passions qui composent les ressorts principaux de l'âme, ils n'en connaissent que neuf, encore ont-ils des notions très imparfaites sur les quatre principales. Ces neuf passions déjà connues, sont les cinq appétits des sens qui exercent plus ou moins d'empire sur chaque individu, et les quatre appétits simples de l'âme, savoir :
6e - Le groupe d'amitié Les moralistes veulent donner à ces neuf passions une marche contraire au voeu de la nature : combien n'ont-ils pas déclamé pendant deux mille ans, pour modérer et changer les cinq appétits sensuels, pour nous persuader que le diamant est une vile pierre, l'or un vil métal, que le sucre et les aromates sont de viles productions dignes de mépris, que les chaumières, que la simple et grossière nature sont préférables aux palais des rois ? C'est ainsi que les moralistes voulaient éteindre les passions sensuelles, et ils n'épargnaient pas davantage les passions de l'âme : combien ont-ils vociféré contre l'ambition ? À les entendre, il ne faut désirer que des places médiocres et peu lucratives ; si un emploi donne un revenu de cent mille livres, il n'en faut accepter que dix mille, pour complaire à la morale. Ils sont bien plus ridicules dans leurs opinions sur l'amour ; ils veulent y faire régner la constance et la fidélité, si incompatibles avec le voeu de la nature et si fatigantes aux deux sexes, que nul être ne s'y soumet quand il jouit d'une pleine liberté. Tous ces caprices philosophiques appelés des devoirs n'ont aucun rapport avec la nature ; le devoir vient des hommes, l'attraction vient de Dieu ; or, si l'on veut connaître les vues de Dieu, il faut étudier l'attraction, la nature seule, sans aucune acception du devoir, qui varie dans chaque siècle et dans chaque région, tandis que la nature des passions a été et restera invariable chez tous les peuples. |
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Attraction passionnée [9] Il y a trois foyers [classes] [10] ou buts d'attraction, vers lesquels tendent les passions humaines, dans tous les lieux, dans tous les rangs, dans tous les âges. Ces foyers d'attraction sont :
1° - Le luxe des cinq sens [sensuelle] L'âme est poussée sans relâche vers ces trois buts par douze aiguillons, ou passions radicales, qui sont les souches de toutes les autres. Il y a :
5 Passions matérielles ou appétits des sens
[sensuelles] qui tendent au luxe. Ces trois dernières que je nomme raffinantes (et qui seraient mieux désignées par le nom de mécanisantes), sont à peine connues des civilisés. On n'en voit poindre que des lueurs, qui excitent la grande colère des moralistes, ennemis acharnés des voluptés. L'influence de ces trois passions est si faible et leur apparition si rare, qu'on ne les a pas même classées distinctement : j'ai dû leur donner une dénomination d'engrenante, variante et graduante, mais je préfère les désigner par les numéros 10, 11, 12 ; et je diffère à en donner la définition, car on ne croirait pas que Dieu, malgré toute sa puissance, pût jamais inventer aucun ordre social capable d'assouvir trois passions si insatiables de voluptés. Les sept passions spirituelles et raffinantes (Dans l'éd. 1841, on a : « les sept passions affectives et distributives ».) dépendent de l'âme plus que de la matière : elles ont rang de primitives. Leur action combinée engendre une passion collective ou formée de la réunion des sept autres, comme le blanc est formé de l'union des sept couleurs du rayon ; je nommerai cette treizième passion harmonisme [ou unitéisme], elle est encore plus inconnue que les 10e 11e et 12e dont je n'ai point parlé ; mais sans les connaître on peut raisonner sur leur influence générale. C'est ce que je vais faire. Quoique ces quatre passions 10e, 11e et 12e et 13e soient complètement étouffées par nos habitudes civilisées, cependant leur germe existe dans nos âmes, il nous fatigue, nous presse selon qu'il a plus ou moins d'activité dans chaque individu. De là vient que beaucoup de civilisés passent leur vie dans l'ennui, lors même qu'ils possèdent tous les objets de leurs désirs : témoin César, qui parvenu au trône du monde, s'étonna de ne trouver dans un si haut rang que le vide et l'ennui. Cette anxiété de César n'avait d'autre cause que l'influence des quatre passions étouffées, et surtout de la treizième, qui exerçait sur son âme une pression très active ; dès lors il jouissait d'autant moins de son bonheur que l'avènement au rang suprême ne lui laissait aucune convoitise qui pût le distraire, et faire diversion à l'effort de cette treizième passion qui dominait en lui. |
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La pleine satisfaction du matériel seul moyen d'élever le sentiment [11] La nature voulant l'équilibre des deux éléments d'amour, du plaisir sensuel et du sentimental, c'est mal servir la cause du sentiment que de dégrader le matériel [12] appelé parmi nous cynisme, concupiscence ou lubricité, et j'établirai que le pur amour appelé sentiment n'est guère que vision ou jonglerie, chez ceux dont le matériel n'est pas satisfait et qu'on ne peut élever le sentiment au degré transcendant que par la pleine satisfaction du matériel. Au moyen de cette clause contre laquelle nulle femme, je pense, ne réclamera, nous allons découvrir dans le lien sentimental des emplois tout à fait neufs et bien supérieurs en charme à tout ce que les romanciers ont pu imaginer. Mais commençons par constater l'absence de ce lien en civilisation. Cette lacune, si elle est prouvée, suffira à infirmer toutes les théories des civilisés sur l'amour. (Pas trop de donner une notice entière à cette démonstration.) Débutons par une définition abrégée des cinq ordres d'amour : 1) l'ordre simple ou radical (composé du matériel simple ou du sentimental simple) 2) l'ordre composé ou balancé (qui comprend les 2 éléments d'amour) 3) l'ordre polygame, ou transcendant qui applique à plusieurs unions l'amour composé 4) l'ordre omnigame ou unitaire (comprenant les orgies composées, chose inconnue en civilisation, ou orgie crapuleuse) 5) l'ordre ambigu ou mixte, multiple bâtard qui comprend des genres aujourd'hui tombés en désuétude. Cette division n'a rien d'arbitraire. C'est la marche progressive de la nature. Comme dans la série 2-4-8-16 nombres multiples de 2, l'ambigu se composerait de tous les nombres intermédiaires. Nous ne connaissons que les 2 premiers ordres, le simple et le composé et nous n'admettons légalement que le 2e. ...––- [13] un moyen quelconque de renouveler le monde, mais nous ne tolérons en libre exercice ni le 1er ni le 2e... |
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Les femmes galantes en Civilisation et en harmonie [14] On peut s'étonner que les 8 prétendants traitent si familièrement avec une grande souveraine, qu'ils lui expriment nettement le désir de la posséder, mais en harmonie on rencontre à chaque pas des souverains et souveraines et ceux du plus haut degré qui est le 13e, la souveraineté étendue au globe entier, sont égaux de ceux du 1er degré qui ne règnent que sur un Tourbillon ; il y a unisson entre les 2 extrêmes de la gamme et cet unisson est observé dans toutes les rencontres d'étiquette. De là vient qu'on n'est pas fort ––- en harmonie de se trouver avec une souveraine de 10e degré comme Fakma [15] qui règne sur 5 empires égaux à la France. D'ailleurs l'harmonie accorde à chaque passion tous ses droits et l'on y tient pour règle qu'en amour tous les humains sont égaux il est donc permis aux poursuivants d'exprimer leurs intentions aussi franchement avec une grande souveraine qu'avec la femme la plus obscure. |
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L'amour pivotal surmonte la jalousie [16] L'amour pivotal [17] est vraiment une fidélité transcendante et d'autant plus noble qu'elle surmonte la jalousie qui dépare l'amour ordinaire. Hommes et femmes ne sont point jaloux des inconstances de leur objet pivotal dont ils sont confidents. Comme on trouve en Civilisation beaucoup de traces de ce genre d'amour il mérite une exacte analyse après quoi nous passerons à l'exposé de ses emplois en harmonie. J'ai dit que l'amour pivotal a les mêmes propriétés que le blanc comparé aux 7 couleurs qu'il réunit toutes. Ainsi l'amour pivotal réfléchit sur l'objet de pivot les 7 passions primitives et d'abord le pur amour. Après avoir vécu un certain temps avec une pivotale et l'avoir quittée, on peut en devenir céladon [18] aussi galant que si l'amour était à son aurore. |
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Plan d'un Phalanstère [19]
LÉGENDE NOTA. Les bâtiments ruraux auront généralement un développement plus considérable que celui de la figure. – La grande route passe entre le palais d'habitation et les bâtiments d'exploitation. – La rue-galerie est figurée le long des faces intérieures du Phalanstère. |
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Distribution unitaire des édifices [20] Il est très important de prévenir l'arbitraire en constructions : chaque fondateur voudra distribuer à sa fantaisie. Il faut une méthode adaptée en tout point au jeu des Séries passionnées : nos architectes qui ne les connaissent pas, ne pourraient pas déterminer le plan convenable ; cependant si le matériel est faussé en dispositions, il en sera de même du passionnel. Les civilisés ayant communément l'instinct du faux, ne manqueraient pas à préférer la plus vicieuse distribution. Cela est arrivé à New-Harmony, où le fondateur Owen a précisément choisi la forme de bâtiment qu'il fallait éviter, le carré ou monotonie parfaite. C'est jouer de malheur comme un milicien qui attrape le billet noir : l'un des inconvénients du carré est que les réunions bruyantes, incommodes, les ouvriers au marteau, les apprentis de clarinette, seraient entendus de plus de moitié du carré sur quelque point qu'on les plaçât. Je citerais vingt autres cas où la forme carrée causerait du désordre dans les relations. Il suffirait de voir le plan de cet édifice (Coopérative magazine : January 1826), pour juger que celui qui l'a imaginé n'a aucune connaissance en mécanisme sociétaire. Du reste, son carré peut être bon pour des réunions monastiques, telles qu'il en fonde, la monotonie étant leur essence. La principale cause qui empêchera d'employer avec fruit les bâtiments civilisés, c'est qu'il est presque impossible d'y pratiquer des SÉRISTÈRES ou masse de salles et pièces disposées pour les relations des Séries passionnées : les étables existantes ont le même défaut. Cependant on pourra faire emploi de certains bâtiments actuels pour la phalange d'échelle réduite, on ne le pourrait pas en pleine échelle, dont je vais donner le plan. Les doubles lignes représentent les corps de bâtiments, le blanc figure les cours et les vides. Les lignes de points sinueux et carrés figurent le cours d'un ruisseau à double canal. En ligne directe de L à L est une grande route qui passerait entre le phalanstère et les étables ; mais on se gardera bien de faire passer les routes dans l'intérieur de la phalange d'essai qu'il faudra au contraire palissader contre les importuns. P = est la place de parade au centre du phalanstère. A = est la cour d'honneur formant promenade d'hiver, plantée de végétaux résineux et ombrages permanents. a, aa ; O, oo ; cours placées entre les corps de logis. Gros points ....., colonnades et péristyles, d'un tracé informe, trop espacé hors les douze colonnes de la rotonde. x, y, z ; xx, yy, zz ; cours des bâtiments ruraux. || les 4 porches fermés et chauffés, non saillants. E, ee, trois portails en avant-corps pour divers services. ::::: Ces doubles points entre deux corps de bâtiments, sont des couloirs placés sur colonnes au premier étage. Les bâtiments dont la grande cour A est entourée et avoisinée sont affectés aux fonctions paisibles ; on peut y placer l'église, la bourse, l'aréopage, l'opéra, la tour d'ordre, le carillon, le télégraphe, les pigeons de poste. On devra placer dans l'un des ailerons toutes les fonctions bruyantes et incommodes aux voisins. La moitié saillante du carré A, la portion d'arrière, est spécialement affectée à loger la classe riche qui s'y trouve éloignée du fracas et rapprochée du parterre principal, ainsi que de la promenade d'hiver, agrément dont les capitales civilisées sont dépourvues, quoiqu'elles aient presque toutes plus de mauvaise que de belle saison. Les deux cours a, aa, qui tiennent aux ailes, sont affectées l'une aux cuisines, l'autre aux écuries et équipages de luxe. Toutes deux doivent être ombragées autant que possible. Je ne désigne pas les arcades de passage. Les deux bâtiments S, ss, pourront être employés, l'un pour l'église, si on veut l'isoler, l'autre pour la salle d'opéra qu'il est prudent d'isoler. Ils auront communication souterraine avec le phalanstère. Les deux cours O, oo, placées au centre de chaque aileron, seront affectées l'une au caravansérail, l'autre aux ateliers bruyants, charpente, forge, marteau, écoles criardes. On évitera par ces dispositions, un inconvénient de nos villes civilisées où l'on trouve à chaque rue quelque fléau des oreilles, ouvrier au marteau, marchand de fer, apprenti de clarinette, brisant le tympan à cinquante familles du voisinage, tandis que le marchand de plâtre ou de charbon les enveloppe d'une poussière blanche ou noire qui empêche d'ouvrir les croisées, obscurcit les boutiques et le voisinage pour la liberté du commerce. L'aileron affecté au caravansérail contient les salles de relations des étrangers ; on les y place afin qu'ils n'encombrent pas le centre du phalanstère et qu'ils se répandent dans les bâtiments ruraux, vers les groupes des champs et des jardins, sans obstruer l'intérieur du palais. Tous les enfants riches ou pauvres logent à l'entresol, pour jouir du service des gardes de nuit, et parce qu'ils doivent dans beaucoup de relations, surtout dans celles du soir, être isolés de l'âge adulte. On en verra la nécessité à la section III qui traite de l'éducation. Les patriarches logent la plupart au rez-de-chaussée. En donnant au phalanstère des développements trop étendus, on ralentirait les relations ; il conviendra donc de redoubler les corps de logis, comme on le voit dans le plan : quelques-uns (x) de 80 toises [21] sur 40, pourront être subdivisés en 2 ou 4 corps détachés et de formes variées. On ménagera entre ces doubles corps deux sortes de communications, 1° des souterrains, 2° des traverses au premier étage par couloirs placés sur colonnes, aux points où les corps de bâtiments seront rapprochés comme en a et aa. Pour épargner les murs et le terrain, il conviendra que l'édifice gagne en hauteur, qu'il ait au moins trois étages, plus l'étage de frise. En y ajoutant le rez et l'entresol, on aura six échelons de logement, y compris le camp cellulaire, placé à la frise. C'est un local pour les passages d'armées industrielles. Il faudra éviter de construire des bâtiments à simple file de chambres, comme nos monastères, palais, hôpitaux, etc. Pour activer les relations, tous les corps de logis devront être, à double file de chambres, assez profondes pour contenir des alcôves et cabinets qui épargneront beaucoup de constructions. La rue-galerie est la pièce la plus importante ; ceux qui ont vu la galerie du Louvre au Musée de Paris peuvent la considérer comme modèle d'une rue-galerie d'harmonie qui sera de même parquetée et placée au premier étage, et dont les croisées pourront, comme celles des églises, être de forme haute, large et cintrée, pour éviter trois rangs de petites croisées. Toutefois on rabattrait beaucoup de ce luxe dans une phalange d'essai, même en grande échelle. Le rez-de-chaussée aura quelques passages en rue-galerie, mais elle ne pourra pas y être continue comme au premier, où elle ne sera point interrompue par les passes de voitures et les porches. Lesdites galeries, tempérées en toutes saisons par des tuyaux de chaleur ou de ventilation, servent de salle à manger dans le cas de passage d'armée industrielle. (On n'en verra pas dans la phalange d'essai.) Ces communications abritées sont d'autant plus nécessaires dans l'état sociétaire, que les déplacements y sont très fréquents, les séances des groupes ne devant durer qu'une heure et demie ou deux heures au plus. Les abris et passages couverts sont un agrément dont les rois mêmes sont dépourvus en civilisation ; en entrant dans leurs palais, on est exposé à la pluie, au froid ; en entrant dans la phalange, la moindre voiture passe des porches couverts aux porches fermés, et chauffés ainsi que les vestibules et escaliers. Je ne dirai rien du camp cellulaire ou amas de chambrettes placées à l'étage de frise. On n'en finirait pas de ces minutieuses descriptions. Les séristères ou lieux de réunion d'une Série passionnée, ne ressemblent en rien à nos salles publiques où les relations s'opèrent confusément, sans graduation. Un bal, un repas ne forment chez nous qu'une seule assemblée sans subdivision : l'état sociétaire n'admet pas ce désordre ; une série a toujours 3, 4, 5 divisions qui occupent autant de salles contiguës : chaque séristère doit avoir des pièces et cabinets adhérents à ses salles, pour les groupes et comités de chaque division ; par exemple dans le séristère de banquet ou de salles à manger, il faut 9 salles fort inégales, savoir :
1 pour les patriarches,
2 pour les enfants,
3 pour la classe pauvre,
2 pour la classe moyenne, 1 pour la classe riche ; non compris les salles du caravansérail, plus les cabinets et petits salons nécessaires, soit pour la chère de commande, soit pour les compagnies qui veulent s'isoler des tables de classe, quoique servies du même buffet. Les appartements sont loués et avancés par la régence à chacun des sociétaires. Les lignes d'appartements doivent être distribués en séries engrenées, c'est-à-dire que, s'ils sont de vingt prix différents, depuis 50, 100, 150, jusqu'à 1 000, il faut éviter la progression consécutive continue, celle qui placerait au centre tous les appartements de haut prix, et irait en déclinant jusqu'à l'extrémité des ailes ; il faut au contraire engrener les séries d'appartements dans l'ordre suivant : DISTRIBUTION EN ÉCHELLE COMPOSÉE
Aux 2 corps d'ailes par 50. 100. 150. 200. 250.
Aux 2 corps d'ailerons par 250. 300. 350. 400. 450. 500.
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de centre par 550. 600. 650. 700. 750. 800. 850.
Exemple : pour engrener ces doubles échelles, il faudra que les logements, dans une aile,
soient échelonnés comme il suit, en alternat de prix : La progression simple, constamment croissante ou décroissante, aurait des inconvénients très graves : elle blesserait l'amour-propre, et paralyserait divers leviers d'harmonie ; elle rassemblerait au centre toute la classe riche, et aux ailerons tout le fretin ; il arriverait que les ailerons seraient déconsidérés et réputés classe inférieure. On doit distinguer les classes, mais non pas les isoler. Au moyen de la progression engrenée, tel individu logeant dans le centre A., qui est le quartier d'apparat, peut se trouver inférieur en fortune à tel qui occupe un logement en ailes ; car les principaux appartements d'aile payés 650, sont plus précieux que les derniers de centre payés 550. On manquerait un accord de la plus haute importance, la fusion des trois classes, riche, moyenne et pauvre, s'il existait dans le phalanstère un quartier de petites gens, un local en butte aux railleries, comme il en est dans chaque ville. On évitera cet écueil par la progression engrenée. Une phalange régulière, telles qu'elles seront au bout de 40 ans, aura 3 ou 4 châteaux placés sur les points fréquentés de son territoire ; on y portera le déjeuner ou le goûter, dans le cas où des cohortes du voisinage se seront réunies sur ce point pour quelque travail : elles perdraient du temps en revenant prendre un repas au phalanstère, qui ne peut pas se trouver dans la direction de leur chemin de retour. Chaque série aura aussi son castel [petit château] sur un point situé à portée de ses cultures ; chaque groupe aura son belvédère ou petit pavillon d'entrepôt ; mais on n'aura pas tout ce luxe dans la phalange d'essai, quelques hangars et abris modestes suffiront. Il faudra seulement s'attacher à bien disposer le phalanstère et les moyens de séduction comme les communications abritées. Elles seront une amorce très puissante sur les gens riches qui, dès la première journée, prendront en aversion les maisons, palais et villes civilisées, les rues boueuses et les équipages, où il est ennuyeux de monter et descendre vingt fois dans une matinée. On trouvera bien plus agréable, en temps pluvieux ou froid, d'aller sur parquet ou carreaux, à toutes les réunions intérieures, cheminer en couloirs chauffés ou rafraîchis selon le temps ; ce sera pour les curieux payants une première séduction qui les excitera à parcourir tous les ateliers, les étables, y admirer la dextérité des groupes, leur bonne tenue, à distribution parcellaire et graduée ; au bout de 3 à 4 jours, ils auront pris parti à plusieurs de ces détails parcellaires ; et on aura même dans une phalange d'échelle réduite des postulants de classe riche, plus qu'on n'en voudra. Il reste à parler du matériel des constructions : il faudra sur ce point aller à l'économie, bâtir en brique et moellon, car lors même qu'on fonderait en pleine échelle, il serait impossible dans cette première épreuve de déterminer exactement les dimensions convenables à chaque séristère et chaque étable. On ne pourra estimer au juste cette proportion que lorsqu'on saura à quelles espèces de travaux chaque phalange devra s'adonner de préférence, quand les rivalités et convenances de chaque pays auront été fixées par une expérience de quelques années. Chaque phalange, au bout de trois à quatre ans, aura beaucoup de nouvelles relations et nouvelles Séries passionnées qu'elle ne pourrait pas organiser dans le début ; en conséquence, les édifices d'origine seront déjà fort inconvenants au bout de 10 ans, et plus encore au bout de vingt et trente ans ; alors on reconstruira tous les phalanstères du globe très somptueusement, parce qu'on saura par expérience que dans l'état sociétaire le luxe en architecture comme en tout, est semaille d'attraction et par suite voie d'enrichissement. Je supprime de ce plan beaucoup de détails ; j'en ai donné suffisamment pour guider dans une fondation en échelle réduite, dont les actionnaires, tout en rétrécissant le plan donné, devront s'en rapprocher autant que possible dans les distributions. |
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Horaire type d'une journée au phalanstère [22] En opérant par séances très courtes de une heure et demie, deux heures au plus, chacun peut exercer dans le cours de la journée, sept à huit sortes de travaux attrayants, varier le lendemain, fréquenter des groupes différents de ceux de la veille ; cette méthode est le voeu de la onzième passion dite Papillonne qui tend à voltiger de plaisir en plaisir, éviter les excès où tombent sans cesse les civilisés qui prolongent un travail pendant six heures, un festin six heures, un bal six heures et durant la nuit, aux dépens de leur sommeil et de leur santé. Ces plaisirs civilisés ne sont toujours que des fonctions improductives, tandis que l'état sociétaire applique la variété de plaisirs aux travaux devenus attrayants. Décrivons cet alternat par le tableau de deux journées d'harmoniens, un pauvre et un riche. JOURNÉE DE LUCAS AU MOIS DE JUIN
heure Nota. On tient la bourse dans chaque phalange, non pas pour agioter sur la rente et les denrées, mais pour négocier les réunions de travail et de plaisir. J'ai supposé ici une journée à trois repas seulement, comme le seront celles des débutants en harmonie : mais quand elle sera en plein exercice, la vie active, l'habitude des séances courtes et variées donnera un prodigieux appétit : les êtres nés et élevés dans l'harmonie seront obligés de faire cinq repas, et ce ne sera pas trop pour consommer l'immense quantité de vivres que produira ce nouvel ordre, où les riches variant leurs fonctions plus fréquemment que les pauvres ont plus d'appétit et de vigueur. C'est en tout point le contraire du mécanisme civilisé. Je vais décrire en cadre de cinq repas une journée d'homme riche, exerçant des fonctions plus variées que celles du précédent qui est un des villageois enrôlés au début.
JOURNÉE DE MONDOR EN ÉTÉ
heures On ne voit dans ce tableau que très peu d'instants laissés au sommeil : les harmoniens dormirent fort peu ; l'hygiène raffinée, jointe à la variété des séances, les habitueront à ne pas se fatiguer dans les travaux ; les corps ne s'useront pas dans la journée, n'auront besoin que d'un sommeil très court et s'y habitueront dès l'enfance, par une affluence de plaisirs auxquels la journée ne pourra pas suffire. |
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Séries passionnelles [23] Une "Série passionnelle" [considérée comme groupe] se compose de personnes inégales en tous sens, en âges, fortunes, caractères, lumières, etc. Les sectaires doivent être choisis de manière à former un contraste et une gradation d'inégalité du riche au pauvre, du savant à l'ignorant [du jeune au vieux], etc. Plus les inégalités sont graduées et contrastées, plus la Série s'entraine au travail, produit de bénéfices, et offre d'harmonie sociale. [Quand une masse nombreuse de Séries est en mécanisme régulier, chacune d'entre elles se] divise en divers groupes, dont l'ordonnance est la même que celle d'une armée. Pour en donner le tableau, je vais supposer une masse d'environ 600 personnes, moitié hommes et moitié femmes, tous passionnés pour une même branche d'industrie, comme une culture de fleurs ou de fruits. Soit la Série de la culture des Poiriers : on subdivisera ces 600 personnes en groupes qui se voueront à cultiver une ou deux espèces de poiriers ; ainsi l'on verra un groupe des sectaires du beurré, un des sectaires de la bergamote, un des sectaires du rousselet, etc. Et lorsque chacun se sera enrôlé dans les groupes de ses poiriers favoris (on peut être membre de plusieurs), il pourra se trouver une trentaine de groupes qui se distingueront par leurs bannières et ornements, et se formeront en trois ou cinq ou sept divisions, par exemple :
SÉRIE DE LA CULTURE DES POIRIERS
1° — Avant-poste — 2 groupes — Coings et sortes bâtardes dures Il n'mporte que la Série soit composée d'hommes ou de femmes, ou (d'enfants, ou mi-partie ; la disposition est toujours la même. La Série prendra à peu près cette distribution, soit pour le nombre des groupes, soit pour la répartition des travaux. Plus elle approchera de cette régularité en gradation et dégradation, mieux elle s'harmonisera et s'entraînera au travail. Le canton qui gagne le plus et qui donne à égalité de chances le plus beau produit, c'est celui qui a ses Séries les mieux graduées et les mieux contrastées. Si la Série est formée régulièrement, comme celle que je viens de citer, on verra des alliances entre les divisions correspondantes. Ainsi l'Aile ascendante et l'Aile descendante s'allieront contre le Centre de Série, et s'entendront pour faire prévaloir leurs productions aux dépens de celles du Centre ; les deux Ailerons seront alliés entre eux et ligués avec le Centre pour lutter contre les deux Ailes. Il résultera de ce mécanisme que chacun des groupes produira à l'envi des fruits magnifiques. Les mêmes rivalités et alliances se reproduisent entre les divers groupes d'une division. Si une Aile est composée de six groupes, dont trois d'hommes et trois de femmes, il y aura rivalité industrielle entre les hommes et les femmes, puis rivalité dans chaque sexe entre le groupe 2, qui est central, et les groupes extrêmes 1 et 3, qui sont ligués contre lui ; puis alliance des groupes n° 2. hommes et femmes, contre les prétentions des groupes 1 et 3, hommes et femmes ; enfin il y aura ralliement de toute l'Aile contre les prétentions des groupes d'Ailerons et de Centre, de sorte que la Série, pour la seule culture de ses poiriers, aura plus d'intrigues fédérales et rivales qu'il n'y en a dans les Cabinets politiques d'Europe. Viennent ensuite les intrigues de Série à Série et de Canton à Canton, qui s'organisent de la même manière. On conçoit que la Série des Poiriers sera fortement rivale de la Série des Pommiers, mais elle s'alliera avec la Série des Cerisiers, ces deux espèces d'arbres fruitiers n'offrant aucun rapprochement qui puisse exciter la jalousie entre les cultivateurs respectifs. Plus on sait exciter le feu des passions, des luttes et des ligues entre les groupes et les Séries d'un canton, plus on les voit rivaliser d'ardeur au travail et élever à une haute perfection la branche d'industrie pour laquelle ils sont passionnés. De là résulte la perfection générale de toute industrie, car il y a des moyens de former Série sur toute branche de travail. S'agit-il d'une plante bâtarde, [ambiguë,] comme le coing, qui n'est ni poire ni pomme, on place son groupe entre deux Séries à qui il sert de lien ; ce groupe du coing est Avant-poste de la Série des poiriers et Arrière-poste de la Série des pommiers. C'est un groupe mixte entre deux genres, une transition de l'un à l'autre, et il s'incorpore aux deux Séries. On trouve dans les passions des goûts bâtards et bizarres, comme on trouve des productions mixtes qui ne tiennent à aucun genre. L'Ordre Sociétaire tire parti de toutes ces bizarreries et fait faire emploi de toutes les passions imaginables, Dieu n'en ayant créé aucune d'inutile. J'ai dit que les Séries ne peuvent pas toujours se classer aussi régulièrement que je viens de l'indiquer ; mais on approche au tant qu'on le peut de cette méthode, qui est l'ordre naturel, et qui est le plus efficace pour exalter les passions, les contrebalancer et les entraîner au travail. L'industrie devient un divertissement aussitôt que les industrieux sont formés en Séries progressives. Ils travaillent alors moins par appât du gain que par effet de l'émulation et des autres véhicules inhérents à l'esprit de Série [et à l'essor de la Cabaliste ou dixième passion.] De là naît un résultat fort étonnant, comme tous ceux de l'Ordre Sociétaire : c'est que moins on s'occupe de bénéfice, plus on gagne. En effet, la Série la plus fortement stimulée par les intrigues, celle qui ferait le plus de sacrifices pécuniaires pour satisfaire son amour-propre, sera celle qui donnera le plus de perfection et de valeur au produit, et qui, par conséquent, aura le plus gagné en oubliant l'intérêt pour ne songer qu'à la passion ; mais si elle a peu de rivalités, d'intrigues et de ligues, peu d'amour-propre et d'exaltation, elle travaillera [froidement,] par intérêt plus que par passion spéciale, et ses produits comme ses bénéfices seront très inférieurs à ceux d'une Série bien intriguée. Dès lors elle aura d'autant moins gagné qu'elle aura été plus stimulée par l'amour du gain. [Il faut donc intriguer une Série groupée, aussi régulièrement qu'une pièce dramatique, et, pour y parvenir, la principale règle à suivre est la graduation des inégalités.] J'ai dit que, pour bien intriguer les Séries et élever à la plus haute perfection les produits de chacun de leurs groupes, il faut les coordonner autant que possible à la progression ascendante et descendante. J'en vais donner un second tableau pour mieux graver cette disposition dans l'esprit des lecteurs. Je choisis la Série de parade. SÉRIE DE PARADE Dans un canton sociétaire, tous les membres de la Phalange industrielle qui exploite le canton se divisent en 16 choeurs de différents âges ; chaque choeur est formé de 2 quadrilles, 1 d'hommes et 1 de femmes, en tout 32 quadrilles, dont 16 masculins et 16 féminins, ayant chacun leurs bannières, distinctions, officiers et costumes distincts, soit en hiver, soit en été. Les l6 choeurs se classent dans l'ordre suivant, pour former les 7 divisions que j'ai déjà indiquées.
DIVISIONS
32 QUADRILLES Les choeurs no 7 à 15 sont les neuf choeurs amoureux ; le choeur 6e entre déjà en âge de puberté ; il n'a pas l'exercice matériel, mais seulement l'exercice spirituel de l'amour. Dans un moment de parade, les 32 quadrilles paraissent avec 32 uniformes différents ; les femmes interviennent toujours par moitié dans toutes les dispositions de l'Ordre Sociétaire. L'ordonnance des Séries est la même dans toutes les branches d'industrie agricole et manufacturière, dans les sciences, les arts et les plaisirs. C'est toujours une lutte régulière entre des groupes et des divisions formées de plusieurs groupes. D'après les deux tableaux que je viens de donner, chacun saurait classer une Série de sciences ou d'arts, et répartir chaque genre dans les divisions du Centre, des Ailes, etc., [qu'on peut subdiviser en plusieurs espèces]. |
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Libération des femmes [24] |
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Avilissement des femmes en civilisation Peut-on voir une ombre de justice dans le sort qui leur est dévolu ! La jeune fille n'est-elle pas une marchandise exposée en vente à qui veut en négocier l'acquisition et la propriété exclusive ? Le consentement qu'elle donne au lien conjugal n'est-il pas dérisoire, et forcé par la tyrannie des préjugés qui l'obsèdent dès son enfance ? On veut lui persuader qu'elle porte des chaînes tissées de fleurs ; mais peut-elle se faire illusion sur son avilissement, même dans les régions boursouflées de philosophie, telles que l'Angleterre, où les hommes jouissent du droit de conduire leur femme au marché, la corde au cou, et la livrer comme une bête de somme à qui veut en payer le prix ? Sur ce point, notre esprit public est-il plus avancé que dans ces siècles grossiers, où certain concile de Mâcon, vrai concile de Vandales, mit en délibération si les femmes avaient une âme ; et l'affirmative ne passa qu'à une majorité de trois voix. La législation anglaise, tant vantée par les moralistes, accorde aux hommes divers droits non moins déshonorants pour le sexe ; tel est le droit qu'a l'époux de se faire adjuger un dédommagement pécuniaire aux dépens de l'amant reconnu de son épouse. Les formes sont moins grossières en France, mais l'esclavage est au fond toujours le même. L'on y voit, comme partout, de jeunes filles languir, tomber malades et mourir faute d'une union que la nature commande impérieusement, et que le préjugé leur défend, sous peine de flétrissure, avant qu'elles n'aient été légalement vendues. Ces événements, quoique rares, sont encore assez fréquents pour attester l'esclavage du sexe faible, le mépris des volontés de la nature, et l'absence de toute justice à l'égard des femmes. Parmi les indices qui promettaient d'heureux résultats de l'extension des privilèges féminins, il faut citer l'expérience de tous les pays. On a vu que les nations les meilleures furent toujours celles qui accordèrent aux femmes le plus de liberté : on l'a vu chez les barbares et sauvages, comme chez les civilisés. Les Japonais qui sont les plus industrieux, les plus braves et les plus honorables d'entre les barbares, sont aussi les moins jaloux et les plus indulgents pour les femmes ; à tel point que les magots de la Chine font le voyage du Japon pour s'y livrer à l'amour qui est interdit par leurs hypocrites coutumes. Les Otahitiens, par la même raison, furent les meilleurs de tous les sauvages : aucune horde n'avait poussé si loin l'industrie, eu égard au peu de ressources qu'offrait leur pays. Les Français, qui sont les moins persécuteurs des femmes, sont aussi les meilleurs d'entre les civilisés, en ce qu'ils sont la nation la plus flexible, celle dont un souverain habile peut tirer en peu de temps le meilleur parti, dans tout emploi ; et malgré quelques défauts, tels que la frivolité, la présomption individuelle et la malpropreté, ils sont pourtant la première nation civilisée, par le seul fait de la flexibilité, qui est le caractère le plus opposé à celui des barbares. On peut de même observer que les plus vicieuses nations ont toujours été celles qui asservissaient davantage les femmes : témoins les Chinois qui sont la lie du globe, le plus fourbe, le plus lâche, le plus affamé de tous les peuples industrieux ; aussi sont-ils les plus jaloux et les plus intolérants sur l'amour. Parmi les civilisés modernes, les moins indulgents pour le sexe ont été les Espagnols, aussi sont-ils restés en arrière des autres Européens, et n'ont-ils eu aucun lustre dans les sciences ni les arts. Quant aux hordes sauvages, leur examen prouverait que les plus vicieuses sont encore celles qui ont le moins d'égards pour le sexe faible, et chez qui la condition des femmes est la plus malheureuse. En thèse générale : Les progrès sociaux et changements de période s'opèrent en raison du progrès des femmes vers la liberté ; et les décadences d'ordre social s'opèrent en raison du décroissement de la liberté des femmes. D'autres événements influent sur ces vicissitudes politiques ; mais il n'est aucune cause qui produise aussi rapidement le progrès ou le déclin social, que le changement du sort des femmes. J'ai déjà dit que la seule adoption des sérails fermés nous rendrait en peu de temps barbares, et la seule ouverture des sérails ferait passer les barbares à la civilisation. En résumé, l'extension des privilèges des femmes est le principe général de tous progrès sociaux. |
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Le bonheur des hommes Comment un siècle si enclin aux expériences de toute espèce, un siècle qui a eu l'audace de renverser les trônes et les autels, a-t-il fléchi si servilement devant les préjugés amoureux, les seuls dont l'attaque eût pu produire quelque bien ; et comment n'a-t-on pas songé à essayer sur ce point les systèmes de liberté dont on a tant abusé ? Tout invitait à éprouver son effet sur les amours, puisque le bonheur des hommes se proportionne à la liberté dont jouissent les femmes. En effet, supposons qu'on pût inventer un moyen de réduire toutes les femmes, sans exception, à cette chasteté qu'on exige d'elles, de manière que nulle femme ne pût se livrer à l'amour avant le mariage, ni posséder après le mariage d'autre homme que son mari ; il résulterait de là que chaque homme ne pourrait avoir dans tout le cours de sa vie que la ménagère qu'il aurait épousée. Or quelle serait l'opinion des hommes sur cette perspective d'être réduits, pour toute leur vie, à ne jouir que d'une épouse qui pourra leur déplaire dès le lendemain du mariage ? Certes, chaque homme individuellement opinerait à étouffer l'auteur d'une pareille invention qui menacerait d'anéantir la galanterie ; et les plus ardents ennemis d'un tel ordre seraient les philosophes qui sont fortement adonnés à la séduction et à l'adultère : d'où l'on voit que tous les hommes sont personnellement ennemis de leurs maximes de chasteté, et que le bonheur du sexe masculin s'établit en proportion de la résistance des femmes aux préceptes de fidélité conjugale. Leur observance rigoureuse causerait le désespoir de tous les hommes individuellement, sans en excepter les philosophes, qui étant plus séducteurs que d'autres, seraient les plus confondus par le triomphe de leurs maximes amoureuses, comme ils le furent en 1789 par l'épreuve de leurs systèmes administratifs. |
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Gradation de délit dans l'adultère Sous le nom de Confusion amoureuse, je désigne l'usage où nous sommes de n'admettre aucune gradation de vice ni de vertu dans les amours ; par exemple, s'agit-il d'adultère, toute infidélité conjugale est également coupable aux yeux des philosophes, et ils appellent sur une femme les foudres du ciel et de la terre pour la faute la plus légère. Cependant il est une gradation de délit dans l'adultère comme partout : les accointances avec une femme stérile ou avec une femme déjà enceinte, enfin toutes copulations dont il ne résulte pas de grossesse, ne sont-elles pas des peccadilles, surtout quand l'adultère est conditionnel, toléré tacitement par l'époux. Il faut donc distinguer ces diverses nuances de délit d'avec l'adultère vraiment coupable, comme celui qui cause la désunion des ménages ou qui y introduit des rejetons hétérogènes. En refusant d'admettre ces distinctions, en voulant confondre et condamner en masse tous les genres d'adultère, on les a tous rendus excusables, on a fait porter sur tous l'indulgence qui est due à quelques-uns. L'opinion révoltée a combattu les persécuteurs par le ridicule ; et sous le nom de cocuage on est parvenu à excuser et favoriser des perfidies odieuses, que la législation confond avec des délits très minimes. |
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Honneur de la fille enceinte et avortement L'adultère est déclaré crime, et pourtant un homme jouit dans la bonne société d'une considération proportionnée au nombre de ses adultères connus et affichés. On admire, on prône un Richelieu, un Alcibiade, qui ont suborné une infinité de femmes mariées ; mais quel cas fait-on d'un homme (qui, voulant obéir aux lois et à la religion, conserve sa virginité pour l'apporter en cadeau de noces à sa femme ? Un tel homme est persiflé de tout le monde. En fait d'adultère comme de duel, la loi est neutralisée par l'opinion, qui n'est favorable qu'aux supercheries amoureuses et même au dévergondage ; en effet, on note d'infamie une pauvre fille qui se laisse faire un enfant, sans la permission de la municipalité, on la déclare coupable lors même qu'elle a été fidèle à son amant ; mais comparez la conduite de cette jeune fille avec celle des honnêtes femmes. Or qu'est-ce qu'une honnête femme en France ? C'est une dame qui a communément trois hommes à la fois, savoir : le mari, l'amant en pied, et quelque ancien titulaire qui revient de temps à autre user de ses droits, à titre d'ami de la maison ; le tout sans compter les passades. En menant ce train de vie, elle obtient de plein droit un brevet d'honnête femme. Soit dit sans blâmer les dames qui se divertissent, elles n'auront jamais tant d'amants que leurs maris ont de maîtresses avant et après le mariage. L'opinion, si ridicule par ses injustices, l'est encore plus par ses contradictions ; témoins les filles enceintes : on leur fait un crime de la grossesse et un crime de l'avortement volontaire ; cependant si elles tiennent à l'honneur, elles doivent aviser aux moyens de conserver l'honneur en effaçant les traces de leur faiblesse. Ce ne sont donc point les filles qui sont blâmables de se faire avorter dans le commencement de la grossesse où le foetus n'est pas vivant, c'est l'opinion qui est ridicule de déclarer l'honneur perdu pour l'action très innocente de faire un enfant. Les coutumes, en Suède, sont sur ce point bien plus sensées que dans le reste de l'Europe : elles ne déshonorent point une fille enceinte ; et de plus, elles défendent aux maîtres de renvoyer, pour cause de grossesse, une fille domestique à qui l'on n'aurait pas d'autre délit à reprocher. Coutume très sage dans un pays qui a besoin de population. |
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[1]
Charles Fourier, Le nouveau monde amoureux, Les Presses du réel © 2009,
pp. 5-7, 16-22. [2] [800 millions représente le chiffre total de la population terrestre au moment où Fourier écrit. (Note : F. B., Philo5, 2015)]
[3]
[Fourier distingue essentiellement 4 niveaux d'évolution sociale : [4] Tous les blancs dans le texte signalés par ce signe ––- correspondent à des mots sautés par Fourier, qui, ne trouvant pas immédiatement le terme convenable, passe outre et continue son analyse, sa description ou son raisonnement laissant une place vide afin de compléter plus tard la phrase, mais cette correction ne fut jamais faite. [5] Fourier reprend ici un passage de la p. 7 mais il l'intègre à un développement plus large. Il aurait évidemment supprimé ces répétitions s'il avait préparé son texte pour l'impression. Les cahiers inédits révèlent le premier jet de sa pensée et parfois les reprises du même thème en diverses perspectives.
[6]
Charles Fourier, Théorie des quatre mouvements, Les Presses du réel © 2009,
pp. 128-130. [7] sectes progressives = séries passionnelles (voir note [21])
[8]
Charles Fourier, Théorie des quatre mouvements, Les Presses du réel © 2009,
pp. 188-189. Dieu offre aux hommes, pour jouer leurs destinées, le clavier des passions. Comme il y a douze notes musicales, il y a douze passions plus une pivot ou apogée analogue à la treizième note de la gamme. Fourier distingue donc :
— Cinq passions sensitives correspondant aux cinq sens et qui tendent à l'exercice plein et direct de chaque sens.
(Théorie des quatre mouvements, p. 192.) — Quatre passions affectives tendant à former les quatre groupes d'amitié, d'amour, d'ambition et de famillisme. — Trois passions distributives tout à fait méconnues, dit Fourier, et qui n'ont que le titre de vices, quoique infiniment précieuses ; ce sont, la cabaliste, la papillonne, ou alternante, et la composite. - La cabaliste, ou esprit de parti, est une fougue spéculative qui mêle toujours les calculs à la passion. C'est la passion de l'intrigue particulièrement ardente chez les ambitieux, les commerçants, les courtisans, le monde galant. (Théorie de l'Unité universelle, Oeuvres complètes, tome II, p. 145.)
- La composite, ou fougue aveugle, est l'opposé de la précédente. C'est un enthousiasme qui
exclut la raison, entraînement des sens et de l'âme. Son domaine est spécialement l'amour.
Elle s'exerce de même dans les autres passions, mais avec moins d'intensité.
- L'alternante, ou papillonne,
est le besoin de variétés périodiques, situations contrastées, changements de scènes, incidents piquants, nouveautés propres
à créer l'illusion, à stimuler à la fois les sens et l'âme. C'est elle qui tient, en mécanique sociale, le plus haut rang parmi
les douze. Elle est agent de transition universelle, elle est principe de liberté, comme la cabaliste de richesse et la composite de justice. — Enfin, la treizième passion est l'unitéisme ou passion de l'unité. Elle est le but commun et la souche de toutes les autres passions, bien qu'elle n'ait aucun essor dans l'ordre civilisé où l'on ne remarque que sa contre-réalité, l'égoïsme. [...] Cependant les passions humaines, pour infiniment nombreuses et complexes qu'elles soient, sont immuables, naturelles, tandis que les principes de la raison, les cultures diffèrent partout. Comment nos facultés peuvent-elles être à la fois progressives, illimitées et immuables ? C'est que les passions dont nous parle Fourier ne sont pas des contenus réels de la conscience, des états affectifs — joie, tristesse, admiration — mais des mouvements orientés, des intentions affectives : Les passions sensitives tendant à... les affectives tendant à ... écrit-il. (Théorie des quatre mouvements, p. 118.) Les connaître, ce n'est donc pas décrire un donné, mais se mettre dans leur sens, découvrir à la fois leur direction et leur signification. [...] il réunit les douze passions sous trois chefs plus généraux : 1. le luxisme ou désir de luxe qui englobe les cinq passions sensitives c'est le désir d'essor et de richesse pour les cinq sens ; 2. le groupisme ou désir des groupes, Rameau qui fournit les quatre passions affectives : désir de liberté absolue pour les quatre groupes : d'ambition, d'amour, d'amitié et de famillisme ;
3. le sériisme ou désir d'affiliation aux séries qui réunit les trois passions
distributives ou secret du bonheur. (Théorie des quatre mouvements, pp. 194-196.)
Enfin, les douze ou les trois peuvent être ramenés au foyer ou tige passionnelle :
l'unitéisme
(Ibid., p. 196.),
passion qui est le résultat de l'essor combiné de toutes les autres passions. La
recherche de l'unité de sens contraire aisément jusqu'à l'être concret, précisément parce
que cet être est encore tout intentionnel. [10] [Fourier change plusieurs fois de désignation pour les catégories qu'il entend définir, mais reste fidèle à ses concepts originaux. Sans doute cherche-t-il, avec le temps, à préciser sa pensée, mais peut-être aussi à brouiller les pistes pour esquiver les censeurs éventuels. On l'aura compris un peu plus loin lorsqu'il garde le silence sur la définition des passions 10, 11 et 12 en déclarant : « je diffère à en donner la définition... ». Le lecteur attentif saura cependant remplir les blancs et ajuster le puzzle philosophique qui se précisera graduellement au cours de l'oeuvre. (Note : F. B., Philo5, 2015)] [11] Charles Fourier, Le nouveau monde amoureux, Les Presses du réel © 2009, pp. 32, 33. [12] [Satisfaction du matériel = satisfaction sexuelle] [13] Mots ou membres de phrases rongés par les souris. Ce cahier est abîmé aux angles et certaines pages plus que d'autres. [15] Fakma : Personnage imaginaire de Fourier : Géorgienne, 32 ans, héroïne sainte, la Césarine favorite des 5 empires du Bosphore. [17] [L'amour pivotal s'oppose à l'amour ordinaire pour Fourier au même titre que l'amour nécessaire s'oppose aux amours contingentes pour Sartre. La première est profonde et durable, mais exempte de jalousie ; la seconde est plutôt charnelle et passagère - papillonne en terme fouriérien. (Note : F. B., Philo5, 2015)] [18] Céladon : Personnage de L'Astrée, 1610, amoureux platonique. Céladonie : amour spirituel. [19] Charles Fourier, Le nouveau monde industriel et sociétaire, Les Presses du réel © 2001, p. 158. [20] Ibid. pp. 156, 157, 159-164.
[21]
[Toise : ancienne mesure équivalant à 6 pieds (1,83 mètre).
80 x 40 toises = 24.4 X 12.2 mètres (480 x 240 pieds) [22] Charles Fourier, Le nouveau monde industriel et sociétaire, Les Presses du réel © 2001 pp. 104-106.
[23]
Charles Fourier, Oeuvres complètes, Tome 1, Théorie des quatre mouvements et des destinées générales Librairie sociétaire, Paris © 1846, Google livres,
pp. 293-297. [24] Charles Fourier, Théorie des quatre mouvements, Les Presses du réel © 2009, pp. 243, 244, 249, 250, 252, 253. (Le texte intégral date de 1808, revu et corrigé en 1841.) |
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